Le 23 mai dernier, le marché transatlantique s’invitait au Parlement européen où les 754 élus devaient se prononcer sur les enjeux suivants :
- faut-il ou non accorder un mandat à la Commission européenne pour négocier un accord dit de « libre-échange » avec les Etats-Unis ?
- Dans l’affirmative, que doit contenir ce mandat ?
Disons-le tout de suite : le vote du Parlement européen n’était pas décisif, la décision finale revenant aux gouvernements nationaux lors d’un sommet européen fixé au mois de juin prochain. Néanmoins, les votes au Parlement européen sont un baromètre de la sensibilité politique sur le sujet et … ils ne sont pas rassurants.
Premier signe d'alerte : le manque de démocratie
A l’initiative des députés de la Gauche Unitaire Européenne/Gauche Verte Nordique (GUE/NGL), un amendement proposait de mener un débat démocratique avec la société civile et d’obtenir une étude d’impact sur les conséquences du marché transatlantique et ce, avant tout lancement de négociations avec les Etats-Unis. Cette résolution a été massivement rejetée par les parlementaires européens : 488 non, 111 oui et 3 abstentions.
Globalement, les démocrates-chrétiens & conservateurs (Groupes PPE &ECR), les libéraux (ADLE) et une grande majorité des socialistes (S&D) européens ont voté contre cet amendement démocratique. A l’inverse, les députés de la gauche (dite) radicale (GUE/NGL) et les verts (Verts/ALE) ont soutenu cet amendement en faveur d’un débat démocratique.
Second signe d'alerte : auncun garde-fou pour juguler le pouvoir des investisseurs
Il y a de cela plusieurs années, les mouvements sociaux avaient réussi à lutter victorieusement contre un AMI qui nous voulait du mal, à savoir un « Accord Multilatéral sur les Investissements » autorisant les investisseurs et entreprises privées à porter plainte contre des Etats quand une politique publique ne leur plaisait pas. Pour éviter que ce détestable AMI - jadis chassé par la porte - ne revienne aujourd’hui par la fenêtre, les députés verts européens ont proposé un amendement spécifiant deux choses importantes à propos du mandat de négociation :
- En aucun cas, il ne pourrait aboutir à « accorder davantage de droits aux investisseurs américains qu’aux investisseurs domestiques »,
- De plus, il ne pourrait pas non plus permettre aux multinationales et investisseurs privés de porter plainte contre des Etats, pour exiger des dommages et intérêts dès qu’ils s’estimeraient lésés par une politique publique contrevenant aux futures règles du marché transatlantique.
Croyez-le ou non, le Parlement européen a rejeté cette proposition de bon sens par 348 non, 225 oui et 16 abstentions. Un refus principalement dû aux élus conservateurs, démocrates-chrétiens et libéraux (Groupes PPE, ECR & ADLE), tandis qu’une majorité de socialistes (S&D) ont, sur ce point précis, rejoint les élus de gauche (dite) radicale et les écologistes européens (Groupes GUE/NGL & VERTS/ALE).
Dans cette foire aux mauvaises nouvelles, un bémol important : l'exception culturelle
Pour rappel, un grand nombre de cinéastes ont récemment lancé une pétition (très bien relayée dans les médias) pour exiger que tout ce qui concerne la culture - financement du cinéma, normes audiovisuelles, diffusion en ligne de programmes culturels… - soit exclu des négociations. Sur ce point, et c’est une bonne nouvelle, le Parlement européen a rejoint l’avis des cinéastes en demandant aux gouvernements européens d’exclure la culture du mandat de négociations : avec 381 oui, 191 non et 17 abstentions.
Une victoire obtenue grâce à la division des troupes au sein des conservateurs, sociaux-chrétiens et libéraux européens. Une partie d’entre eux sont restés fidèles à l’adage « le monde entier, y compris la culture, n’est qu’une marchandise », tandis qu’une autre partie rejoignait les députés écologistes et de la gauche (dite) radicale, ainsi qu’une majorité de socialistes européens, dans leur défense du principe opposé : « la culture doit échapper aux négociations commerciales transatlantiques ».
Le vote final : vive le "tout au commerce"
Enfin, restait le vote final, celui décidant d’accorder (ou non) un mandat à la Commission européenne pour négocier,avec les Etats-Unis, la mise en place d’un marché transatlantique. Etant donné le résultat des votes sur les amendements précédents, il s’agissait bien d’accorder à la Commission européenne un mandat de négociation :
- excluant tout débat public préalable,
- toute étude d’impact indépendante préalable,
- demandant à ce que la culture soit exclue des négociations,
- mais pouvant aller jusqu’à accorder aux investisseurs et sociétés privées le droit de porter plainte contre des Etats (pour leur soutirer de l’argent sous forme de dommages et intérêts quand une politique contredirait les règles du futur marché transatlantique).
Sur ce vote final, le Parlement européen a malheureusement dit oui par 460 voix pour, 105 contre, et 28 abstentions.
A nouveau, ce sont les conservateurs, les chrétiens-démocrates, les libéraux mais aussi une très large majorité des socialistes (groupes PPE, ADLE, S&D, ER) qui ont massivement pris position pour le « tout au commerce ». à l’inverse, les députés de la gauche (dite) radicale et les écologistes européens (Groupes GUE/NGL & Verts/ALE) se sont opposés à ce projet.
Enfin, nous n’en avons pas dit un mot mais l’attitude de l’extrême-droite européenne est divisée sur le dossier : certains mouvements d’extrême-droite s’opposent à la création d’un marché transatlantique au nom d’une souveraineté nationale reposant sur des valeurs inégalitaires et nauséabondes, tandis qu’une autre partie cumule la préférence nationaliste avec un soutien aux transferts de pouvoirs vers des instances transatlantiques.
En attendant, la décision finale doit être prise en juin prochain par les gouvernements nationaux lors d’un sommet européen. D’ici là, nous allons continuer à vous fournir plus de détails à propos des votes en nous intéressant successivement aux votes des députés européens membres du Transatlantic Policy Network (l’un des plus puissants lobbies transatlantiques), ainsi qu’aux votes des députés européens belges et français. Ce sera l’occasion de découvrir que tout espoir n’est pas perdu, car les positionnements politiques peuvent parfois bouger dans le bon sens.
Affaire à suivre...