Le 23 mai dernier, le Parlement européen accordait à la Commission européenne un mandat pour négocier, avec les Etats-Unis, la mise en place d’un marché transatlantique. Pour la majorité des députés européens, ce mandat pouvait être accordé :

  1. sans débat préalable avec la société civile et sans expertise approfondie des impacts potentiels d’une telle décision ;
  2. sans imposer aucune limite au pouvoir des investisseurs étrangers ;
  3. en excluant un seul domaine des négociations : le secteur culturel (audiovisuel, cinéma, littérature, etc.).

Même si l’avis du Parlement européen est de pure forme (la décision étant revenue, le 14 juin dernier,  aux ministres du Commerce), ce vote est un baromètre du succès politique remporté par le marché transatlantique. Après avoir passé en revue les votes par grands groupes politiques (cfr. Un parlement européen dans sa tour d’ivoire) et ceux des élus membres du Transatlantic Policy Network (cfr. Un Parlement sous influence ?), voici le résultat des députés européens originaires de France.

Cartographie politique française au sein du Parlement européen

La France compte 74 députés européens.

Voici comment ceux-ci se répartissent dans les différents Groupes parlementaires européens.

C’est au sein du Groupe du Parti populaire européen (PPE) qu’on trouve le plus grand nombre d’élus français, à savoir : 24 élus UMP (droite libérale), 4 élus de l’UDI (le parti fondé par Jean-Louis Borloo) et 2 élus du Nouveau centre (parti libéral pro-européen). Soit dit en passant, le groupe UMP compte également les trois membres politiques français du TPN, un lobby agissant en faveur de puissantes multinationales (cfr. Un Parlement sous influence ?).

Vient ensuite le Groupe des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE), qui compte 15 élus d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) et 1 représentant du Parti de la nation corse (Partitu di a Nazione Corsa).

Juste derrière, on trouve les 13 élus socialistes français siégeant au sein de l’Alliance progressiste des socialistes et des démocrates au Parlement européen (S&D).

Les 5 représentants du MoDem (le parti lancé par François Bayrou) et l’unique élue de Cap21 (un mouvement politique écologiste devenu autonome après avoir quitté le MoDem) siègent au sein de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ALDE).

Les 4 élus du Front de Gauche (qui comprend notamment le Parti Communiste français et le Parti de Gauche) et l’unique élu de l’Alliance des Outre-Mers siègent au sein du Groupe Gauche unitaire européenne / Gauche verte nordique (GUE/NGL).

Les trois élus du Front National n’appartiennent à aucun groupe politique parlementaire européen, tandis que l’unique élu du Mouvement pour la France (Philippe de Villiers) fait partie du groupe parlementaire Europe Libertés Démocratie (ELD).

Les députés européens originaires de France étaient massivement présents au moment du vote, où l’on ne comptabilisait que 10 absents : 4 Europe Ecologie-Les Verts, 2 UMP, 2 PS, 1 Nouveau Centre et l’unique représentant du Mouvement pour la France.

Ce qui nous laisse 64 députés européens, d’origine française, présents en séance au moment du vote.

Comment se sont-ils prononcés sur le mandat de négociation en faveur d’un marché transatlantique ?

Le résultat des votes

À la question « faut-il consulter la société civile ou faire une étude d’impact préalable sur les conséquences du marché transatlantique ? », tous les élus français membres de l’UMP, du Nouveau Centre et de l’UDI ont répondu « non ». Les élus du MoDem ont fait de même, à l’exception notable de Jean-Luc Bennahmias qui s’est abstenu.

Les partisans d’une consultation citoyenne préalable se trouvaient dans les rangs d’Europe Ecologie-Les Verts, du Parti socialiste (à l’exception de Gilles Pargneaux qui a voté contre), du Front National, de Cap21, du Parti de la nation corse, d’Alliance Outre-Mers et du Front de Gauche (dont le groupe parlementaire européen, à savoir le Groupe confédéral de la Gauche Unitaire européenne/Gauche verte Nordique, était à l’initiative de l’amendement exigeant une consultation et une étude d’impact préalables à toute négociation).

À la question « faut-il empêcher les investisseurs de porter plainte contre les Etats lorsqu’une décision politique nuit à leurs intérêts économiques ? », les élus français se sont prononcés selon un clivage gauche/droite. À quelques bémols près.

Ainsi, c’est quasi à l’unanimité que les élus de l’UMP, du Nouveau Centre, de l’UDI et du MoDem ont pris l’option de dire « oui » à un mandat de négociation laissant les coudées franches aux investisseurs étrangers, y compris si ceux-ci veulent porter plainte contre les Etats suite à des politiques qu’ils jugeraient anti-compétitives. Deux exceptions notables : Jean-Luc Bennahmias (MoDem) et Marie-Thérèse Sanchez-Schmid (UMP) ont préféré rejoindre les rangs de la contestation… et ont demandé à ce que le mandat de négociations contienne des garde-fous empêchant de conférer un pouvoir exorbitant aux investisseurs étrangers.

Cette position citoyenne fut également celle des socialistes, du Front de Gauche, d’Alliance Outre-Mers, du Front national, de Cap21, du Parti de la nation corse ainsi que d’Europe Ecologie-Les Verts (dont le Groupe parlementaire européen était à l’origine de l’initiative).

À la question « faut-il une exception culturelle et ne pas autoriser la Commission à négocier un accord commercial sur ce point avec les Etats-Unis ? », ce fut l’unanimité absolue ! En effet, 100% des élus français au Parlement européen se sont prononcés en faveur de l’exception culturelle. Comme quoi, même au sein de la droite française, culture et commerce ne font pas bon ménage…

Restait le vote final : « sachant qu’il n’y aurait ni débat public préalable, ni étude d’impact, ni limite imposée d’entrée au pouvoir des investisseurs, faut-il accorder à la Commission européenne le droit de négocier, avec les Etats-Unis, la mise en place d’un marché transatlantique ? ».

À cette question, l’ensemble des élus français membres de l’UMP, du Nouveau Centre et de l’UDI ont répondu « oui ». Ces trois partis s’avèrent de farouches partisans du marché transatlantique.

La surprise est venue du Modem : après s’être montré plutôt partisan du projet lors des votes sur les amendements précédents, les 5 élus du MoDem se sont abstenus sur la question du mandat de négociation à confier, ou non, à la Commission européenne.

Une réaction qui fut aussi, globalement, celle des socialistes français où l’on dénombre 8 abstentions et seulement 3 refus d’accorder un mandat de négociations transatlantiques à la Commission européenne. Les refus socialistes sont venus des députés Françoise Castex, Liem Hoang Ngoc et Isabelle Thomas.

Enfin, c’est sans surprise qu’on retrouve parmi les opposants français au marché transatlantique l’ensemble des élus d’Europe Ecologie-Les Verts, du Front de Gauche, du Front national, de Cap21, d’Alliances Outre-Mers et du Parti de la nation corse.

Que retenir ?

Une chose fait l’unanimité en France : le principe d’exception culturelle.

Pour le reste, une nette majorité politique se dégage en faveur du marché transatlantique. Une majorité principalement portée par l’UMP (qui comptabilise pratiquement un tiers de tous les élus français au Parlement européen), le Nouveau Centre, l’UDI et, dans une moindre mesure, le MoDem (qui s’est abstenu sur la résolution finale après avoir plutôt voté contre les amendements « citoyens »).

L’attitude des socialistes français (qui réunissent moins de 20% de l’ensemble des élus français au Parlement européen) est ambivalente : d’un côté, ils soutiennent massivement des amendements citoyens (comme la consultation publique préalable et les garde-fous aux droits des investisseurs étrangers), lesquels sont malheureusement rejetés par une majorité de députés européens. Malgré ce manque de garanties « citoyennes », seule une minorité (3 élus) vote contre le mandat de négociations, tandis que les 8 autres élus socialistes français s’abstiennent. On sent donc chez les socialistes quelques hésitations à accorder un blanc-seing à la Commission européenne pour négocier avec les Etats-Unis, mais nullement une perception nette des dangers démocratiques, écologiques et sociaux d’un marché transatlantique unifié. Cette dernière remarque concerne le courant majoritaire au sein du PS, et non son aile minoritaire « Maintenant la Gauche » qui, elle, a pris très clairement position contre le marché transatlantique.

Enfin, la contestation française au marché transatlantique vient, à l’unanimité, des rangs d’Europe Ecologie-Les Verts, du Front de Gauche, du Front national, de Cap 21, du Parti de la nation corse et d’Alliance Outre-Mers. Tous réunis, ces partis ne rassemblent à l’heure actuelle qu’environ un tiers de l’ensemble des députés français. C’est dire si un basculement du camp socialiste s’avère nécessaire pour faire évoluer, dans la bonne direction, le rapport de force au sein des élus français. Lequel restera tout de même majoritairement en faveur du marché transatlantique tant que de nouvelles élections européennes (prévues en 2014) n’auront pas redistribué les cartes politiques au sein du Parlement. En attendant, espérons que la campagne (annoncée par le Front de Gauche) en faveur d’un référendum français sur le marché transatlantique contribuera à faire évoluer les positionnements politiques.

Pour conclure, notons que si Europe Ecologie-Les Verts, le Front de Gauche et le Front National sont tous de farouches opposants au marché transatlantique, ils ne le font pas pour les mêmes raisons. Partisans d’une France aux Français niant la richesse des métissages culturels et invoquant de funestes valeurs qui furent le fer de lance de l’histoire coloniale, c’est au nom d’un projet de société détestable que le Front National s’oppose au marché transatlantique.