I. Informations relatives aux répondants = coordonnées
II. Observations proposées sur le texte proposé en tant que base de négociation avec les Etats-Unis
A. Dispositions de fond relatives à la protection des investissements
- Question 1 : compte-tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, quel est votre avis sur les objectifs et l’approche de l’Union en ce qui concerne le champ d’application des dispositions de fond relatives à la protection des investissements dans le cadre du TTIP.
Accorder, ou non, une égalité juridique à l’ensemble des investisseurs est une question éminemment politique. Que ce soit pour développer l’emploi ou poursuivre des objectifs écologiques, un pouvoir démocratique a le droit de favoriser les investisseurs locaux (qui paient leurs impôts, ont des attaches locales et ne délocalisent pas leurs activités) au détriment des investisseurs étrangers. S’il est question de limiter les abus (tels que sociétés écrans ou sociétés boîtes aux lettres), améliorer la définition de l’investisseur est loin d’être suffisant. Ce qu’il faut, c’est durcir l’arsenal législatif et les sanctions judiciaires à l’encontre des investisseurs contournant la loi. Mais c’est dans la direction opposée (à savoir : permettre aux investisseurs de contester des lois adoptées par des gouvernements démocratiques) que va la procédure d’arbitrage internationale en vue de protéger les investisseurs. C’est pourquoi le RDIE doit être rejeté.
- Question 2 : compte-tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, que pensez-vous de l’approche de l’Union en ce qui concerne la non-discrimination dans le cadre du TTIP ? Veuillez expliquer :
Définir l’organisation de l’économie est un droit démocratique fondamental, car un investissement n’est pas l’autre du point de vue de l’intérêt général. Si une majorité électorale le décide, une démocratie a le droit de privilégier certains types d’investissements au détriment d’autres investissements. C’est un outil politique fondamental pour encourager l’emploi local, lutter contre les pratiques spéculatives (très présentes dans les investissements internationaux) ou encore réprimer des pratiques entrepreneuriales jugées contraires aux droits humains fondamentaux (interdiction du travail des enfants, droit des travailleurs à se syndiquer, maintien de la biodiversité, respect de la vie privée, etc.). C’est pourquoi je suis profondément opposé à l’approche de l’UE et à la clause de non-discrimination entre investisseurs. Cette clause est une contrainte juridique empêchant les gouvernements, élus par la population, de promouvoir des investisseurs et/ou des pratiques entrepreneuriales plus favorables pour l’intérêt général.
- Question 3 : compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, quel est votre avis sur l’approche de l’Union en ce qui concerne le traitement juste et équitable des investisseurs et de leurs investissements dans le cadre du TTIP ?
Tout comme l’UE, je pense qu’aucun « investisseur ne peut légitimement s’attendre à ce que le régime juridique et réglementaire général reste immuable ». Mais je m’interroge : pourquoi l’UE n’exige-t-elle pas d’offrir une protection aux Etats face à des investisseurs qui font usage de leurs pouvoirs souverains de délocalisation (pour mettre en concurrence les travailleurs, les régimes fiscaux, sociaux, les normes écologiques, etc.) pour échapper à leurs obligations légales vis-à-vis des règles démocratiques fondamentales (paiement des impôts, financement de la sécurité sociale, lutte contre le réchauffement climatique…) ? Accepter de négocier un Règlement des Différends entre Investisseurs et Etats, par le recours à des Tribunaux internationaux, ne fera que renforcer l’impunité des multinationales à contourner les lois sans subir de sanctions. C’est pourquoi je demande une meilleure régulation et un plus grand contrôle public de l’activité des multinationales, auquel on ne peut dès lors accorder le droit de poursuivre les Etats sur base d’un droit extraterritorial.
- Question 4 : compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, quel est votre avis sur l’approche de l’Union en ce qui concerne la non-discrimination dans le cadre du TTIP ?
Aujourd’hui, certains investisseurs deviennent des « dés-investisseurs ». Ainsi, la multinationale ArcellorMittal a décidé de fermer ses outils de production à Floranges (France) et à Liège (Belgique), en empêchant toute reprise par un éventuel acquéreur. Et un gouvernement n’aurait pas le droit de réquisitionner une usine dont un industriel ne veut plus ? Il est légitime, sous certaines conditions à fixer de façon démocratique, de pratiquer des expropriations, voire des nationalisations. Je suis totalement opposé à la proposition de la Commission européenne de considérer que certaines mesures « prises à des fins politiques légitimes » (protéger l’emploi, la santé ou l’environnement…) puissent être décrétées « excessives au regard de l’objectif poursuivi » et être assimilées à des expropriations illégitimes, pouvant donner lieu à des poursuites contre les Etats de la part des investisseurs étrangers. En démocratie, c’est la Constitution et le vote des électeurs qui fixent les moyens nécessaires à un objectif poursuivi : il ne saurait être question d’autoriser les multinationales à contester ce fait, sauf à vouloir leur attribuer une situation d’impunité et de privilèges indignes d’un Etat de droit.
- Question 5 : compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, que pensez-vous de la manière dont l’UE tient compte du droit de réglementer dans sa ligne de conduite relative au partenariat transatlantique ?
Une liste (même fermée) de droits fondamentaux reconnus aux investisseurs autoriserait ces derniers à se protéger face à certaines régulations publiques. Elle pourrait également menacer le principe de précaution (que nombre d’industriels américains combattent à travers un lobbying intensif, ainsi que l’ont montré les consultations publiques lancées en 2012 autour du High Level Working Group on Jobs and Growth). La meilleure façon de tenir compte du droit de réglementer consiste à ne pas adopter de système RDIE. Chaque pays est doté d’une constitution et de tribunaux dont la mission est précisément de régler les différends entre individus, institutions, sociétés, etc. Il n’est guère nécessaire de soumettre ces règlements juridiques et judiciaires aux décisions arbitraires d’un pouvoir supérieur, qui ne bénéfice nullement de la même légitimité démocratique. Dans cette optique, plus on limitera le droit de recours des investisseurs au RDIE, mieux la démocratie se portera.
B. Règlement des différends entre investisseurs et Etats (RDIE)
- Question 6 : compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, pensez-vous que la ligne de conduite de l’UE contribue à atteindre son objectif de renforcement de la transparence et de l’ouverture du système de RDIE dans le cadre du partenariat transatlantique ? Veuillez également faire part de toute suggestion que vous pourriez avoir.
La transparence ne suffit pas à assurer la légitimité d’un système RDIE dont le principe même pose problème. Imaginons qu’une procédure RDIE porte sur un sujet qui m’intéresse de près : comment aurais-je le temps et les moyens financiers nécessaires pour me déplacer jusqu’au lieu (probablement éloigné de chez moi) où se tiendra le Tribunal (international) jugé compétent ? De même, les ONG et les syndicats ont des moyens humains et financiers limités : dans l’espoir d’empêcher de mauvaises décisions « judiciaires », ils devraient renoncer à une partie de leurs activités régulières pour consacrer davantage de temps à cette forme de « consultation ». à l’heure où l’UE n’a de cesse de combattre ce qu’elle nomme la « bureaucratie inutile » pour alléger et simplifier la vie des entreprises, je m’étonne de la mise en place de procédures RDIE qui vont représenter un surcroît de travail pour des ONG et syndicats ! Bref, vouloir donner plus de transparence à un système RDIE fonctionnant hors démocratie va s’avérer compliqué… Ma suggestion est donc de supprimer le système RDIE là où il existe, et de ne pas le mettre en place là où il n’existe pas encore.
- Question 7 : compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, pensez-vous que cette ligne de conduite est efficace pour établir un juste équilibre entre accès au RDIE et recours possible aux tribunaux nationaux et pour éviter les conflits entre les voies de recours nationales et le RDIE dans le cadre du partenariat transatlantique ? Veuillez indiquer toute mesure supplémentaire qui pourrait être prise selon vous. Veuillez aussi donner votre opinion sur l’utilité de la médiation pour régler les différends.
Le seul équilibre souhaitable, c’est d’accorder une compétence exclusive aux tribunaux nationaux (ou à la Cour de justice européenne) pour régler les conflits opposant Etats et investisseurs étrangers. Le droit national est bâti sur une constitution qui donne sa légitimité aux gouvernements de chaque pays, alors que les investisseurs sont des personnes ou organisations privées qui doivent (comme moi) s’inscrire dans le cadre juridique que les Etats ont défini. Traiter les investisseurs et les Etats sur un pied d’égalité, ainsi que le font les RDIE, est une procédé antidémocratique. Les Etats ont en charge de fixer les libertés et contraintes qui s’appliquent à moi comme aux entreprises : pourquoi les investisseurs (qui sont aussi parfois des spéculateurs, des dé-localisateurs, des dés-investisseurs, des pollueurs et des financiers tuant l’emploi) devraient-ils avoir des privilèges que je n’ai pas ? Pourquoi auraient-ils le droit de réclamer l’argent de mes impôts (via les dommages et intérêts financiers prévus dans les procédures RDIE) dès lors qu’une politique publique ne leur plaît pas ? C’est tout à la fois injuste et inacceptable !
- Question 8 : compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, veuillez donner votre avis sur ces procédures et, en particulier, sur le code de conduite et les exigences en matière de qualifications des arbitres en relation avec l’accord de partenariat transatlantique. Améliorent-elles le système existant, et d’autres améliorations sont-elles envisageables ?
Lutter contre les conflits d’intérêts est assurément nécessaire, et introduire des codes éthiques plus contraignants dans les institutions (nationales, européennes, transnationales) va dans le bon sens. Mais je m’interroge : pourquoi les connaissances en droit international et en droit des investissements internationaux seraient-elles les seules nécessaires pour les arbitres dans les Tribunaux d’arbitrage internationaux ? Que fait l’UE des compétences en matière sociale ou environnementale ? Il s’agit là de domaines clés, sur lesquels les investisseurs étrangers aiment chercher des poux aux gouvernements. Déconsidérer ces compétences révèle un déséquilibre - de nature idéologique - dans l’approche juridique de l’UE. Un déséquilibre qui renvoie aux relations privilégiées que l’UE entretient avec certains investisseurs, au détriment des relations avec d’autres représentants de la société civile (syndicats, ONG…). Un déséquilibre dont le principe de RDIE rend bien compte, raison pour laquelle celui-ci devrait être rejeté.
- Question 9 : compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, veuillez donner votre avis sur ces mécanismes visant à empêcher les recours abusifs ou infondés et à supprimer toute incitation à former de tels recours en rapport avec l’accord de partenariat transatlantique. Veuillez également indiquer tout autre moyen vous paraissant propre à limiter ces recours.
Parce qu’ils sont réservés exclusivement aux investisseurs et qu’ils autorisent ces derniers à contester des décisions prises par des gouvernements démocratiquement élus, j’estime que les Tribunaux d’arbitrage internationaux visant à régler les différents entre Etats et investisseurs ne sont pas légitimes. Ces Tribunaux placent un groupe social particulier (les investisseurs) au-dessus du reste de la population, et mettent ainsi gravement en cause le principe d’égalité juridique devant la loi. C’est pourquoi j’estime que tous les recours, faits dans des procédures d’arbitrage international de Règlement des Différents entre investisseurs et Etats, sont abusifs ! N’éliminer que les plus intolérables d’entre eux est insuffisant : aucun recours de type RDIE ne doit être imposé aux Etats membres de l’UE !
- Question 10 : certains accords d’investissement prévoient des mécanismes de filtrage permettant aux parties (en l’occurrence, l’UE et les Etats-Unis) d’intervenir dans une affaire de RDIE lorsqu’un investisseur conteste des mesures adoptées en vertu de règles prudentielles visant à préserver la stabilité financière. Dans ces circonstances, les parties peuvent décider conjointement que le recours ne doit pas être maintenu. Compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, quel est votre avis sur le champ d’application et l’utilisation de ces mécanismes de filtrage dans l’accord de partenariat transatlantique ?
Pourquoi le droit de recours des autorités se limiterait-il à des raisons prudentielles limitées au secteur financier ? Selon moi, c’est pour l’ensemble des activités (marchandes et non marchandes, économiques et non économiques) qu’il importe de préserver le droit des Etats à réglementer dans le but de protéger les consommateurs, les travailleurs et l’environnement. Car les crises contemporaines ne sont pas que financières : elles sont aussi sociales, environnementales et démocratiques. Autour de moi, de plus en plus d’électeurs se sentent impuissants et ont le sentiment que leur vote ne compte pas. A l’inverse, les lobbies marchands envoient de nombreux « experts » pour assister la Commission européenne dans son travail législatif. Cette crise de la démocratie doit être prise au sérieux, et trouver de justes solutions. Cela passe par le droit des autorités politiques à pouvoir fixer des limites aux entreprises privées, lesquelles ne devraient pas être autorisées à en contester le bienfondé lors de procédures d’arbitrage international.
- Question 11 : compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, quel est votre avis sur l’approche exposée ci-dessus, qui vise à garantir l’uniformité et la prévisibilité d’une interprétation de l’accord tendant à corriger un équilibre ? Ces éléments vous paraissent-ils souhaitables et, dans l’affirmative, les juges-vous suffisants ?
Qu’il soit souhaitable d’éviter des erreurs d’interprétation sur la signification d’accords juridiques est une évidence. Que les éléments proposés soient suffisants, je ne le pense pas. Selon la proposition de l’UE, en cas de conflit juridique entre une multinationale et une puissance publique (l’UE ou les USA) où la nature et l’interprétation du droit seraient en cause, la balle décisive serait dans le camp de la « partie non contestante » (UE ou Etats-Unis). Cette partie non contestante pourrait décider de venir (ou de ne pas venir) prêter main-forte à l’autre partie, afin de donner une interprétation commune des points juridiques faisant conflit. Mais pourquoi donner autant de pouvoir à la « partie non contestante », qui pourrait être les Etats-Unis (soit un pays où je n’ai pas le droit de vote) ? Pour moi, il est inacceptable que le gouvernement que je contribue à élire en Europe soit limité, dans ses pouvoirs de décision, par des institutions (Tribunal d’arbitrage) ou des pays (la « partie non contestante ») sur lequel je n’ai aucun contrôle démocratique.
- Question 12 : compte tenu de l’explication ci-dessus et du texte de référence fourni en annexe, veuillez donner votre avis sur la création d’un mécanisme d’appel dans l’accord de partenariat transatlantique en vue de garantir l’uniformité et la prévisibilité de l’interprétation de cet accord.
Ce mécanisme d’appel coûtera de l’argent supplémentaire, et rallongera la durée d’incertitude (quant à l’issue du conflit) durant laquelle le pouvoir politique sera sous pression pour éviter tout nouveau recours lancé par un investisseur. Cela ne facilitera ni la vie parlementaire, ni le processus démocratique. Qui plus est, rien ne garantit que d’éventuelles erreurs de jugement soient corrigées. Dans le pire des cas, des décisions initialement favorables aux Etats pourraient même être annulées et laisser place au versement de dommages et intérêts pour les firmes privées. Même si un mécanisme d’appel est souhaitable dans les affaires judiciaires, ce mécanisme d’appel ne peut, à lui seul, modifier la nature d’une procédure RDIE profondément injuste et antidémocratique. Le RDIE accorde en effet un rôle et une place injustifiée à des parties privées (les investisseurs, placés sur un pied d’égalité avec les Etats) qui n’ont pas à avoir des droits supérieurs à ceux de n’importe quel citoyen ou organisation privée.
C. Appréciation générale
- Quelle est votre appréciation générale de l’approche proposée s’agissant des règles de fond en matière de protection et du RDIE comme base de négociation sur les investissements entre l’UE et les Etats-Unis ?
- Y-a-t-il d’autres voies que l’UE pourrait suivre pour améliorer le système d’investissement ?
- Souhaiteriez-vous évoquer d’autres questions en relation avec les thèmes couverts par le questionnaire ?
Le RDIE est profondément antidémocratique. Il bafoue mon droit à élire des représentants politiques jouissant d’un réel pouvoir de décision et confère un rôle pratiquement égal aux gouvernements et aux investisseurs privés. Les libertés que le RDIE accorde aux investisseurs privés sont d’autant plus inacceptables qu’elles se font au sein d’économies ouvertes (par volonté politique), qui permettent aux investisseurs de choisir les législations écologiques, fiscales et sociales qu’ils préfèrent. Cette légalisation du dumping place déjà les investisseurs et multinationales au-dessus des lois, qu’ils peuvent contourner à leur aise.
Pour améliorer le système d’investissement, il est urgent que l’UE revoie les règles de fonctionnement du marché unique. L’UE doit considérer toute forme de dumping (qu’il soit social, fiscal ou écologique) comme une concurrence déloyale. Je suis pour une régulation publique beaucoup plus forte des activités économiques, décourageant les investissements nuisibles (comme la spéculation financière) au profit d’investissements d’intérêt général (favoriser des entrepreneurs locaux et des circuits courts de consommation crée de l’emploi durable et contribuer à lutter contre le réchauffement climatique).
Je suis profondément opposé au RDIE. Et pour conclure avec les « questions en relation avec les thèmes couverts par le questionnaire », c’est l’ensemble du TTIP que je conteste, notamment parce qu’il renforce les possibilités de dumping. C’est pourquoi les négociations du TTIP doivent, elles aussi, être immédiatement stoppées.